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La pandémie relative au Covid-19 constitue une crise sanitaire inédite. En raison de son impact sans précédent sur l’économie, les entreprises et les contrats, ses effets intéressent également au premier plan les juristes. Les bouleversements que cette crise entraînera sur l’exécution de nombreux contrats donnera sans aucun doute lieu à de nombreux contentieux qu’il appartiendra aux juridictions judiciaires et arbitrales de trancher. 

Les ordonnances rendues par le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris les 20, 26 et 27 mai dernier en sont un premier exemple en France.  

Dans ces affaires, plusieurs fournisseurs alternatifs d’électricité – Total Direct Énergie, Gazel et Alpiq – subissant la chute des prix de l’électricité en raison de la pandémie ont demandé la suspension de leurs accords-cadres ARENH conclus avec EDF en invoquant la clause de force majeure stipulée dans ces contrats. Le juge des référés, estimant que les conditions d’application de la clause de force majeure étaient réunies, a fait droit à la demande des fournisseurs.

Contexte

L’Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique (ARENH) est un dispositif mis en place par la loi n°2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité.

Il permet aux fournisseurs d’électricité qui le souhaitent d’acquérir auprès d’EDF une partie de la production de cette dernière. Un accord-cadre est alors conclu entre EDF et chacun des fournisseurs d’électricité qui souhaitent bénéficier de ce dispositif. En application des dispositions de
l’accord-cadre, les fournisseurs alternatifs d’électricité souscrivent annuellement un volume d’électricité auprès d’EDF à un prix déterminé – 42 euros/MWh depuis 2012 – et s’engagent à recevoir et payer les quantités ainsi réservées.

La Covid-19 et les mesures de confinement mises en place pour freiner la propagation de l’épidémie en France ont toutefois placé ces fournisseurs dans une situation délicate. La pandémie a, en effet, entraîné une baisse importante de la consommation d’électricité sur le territoire national qui a
elle-même engendré une chute substantielle des prix de marché de l’électricité.

Les fournisseurs alternatifs d’électricité se sont donc retrouvés contraints d’acquérir les volumes réservés auprès d’EDF pour l’année 2020 au prix de 42 euros/MWh, et à revendre ces mêmes volumes à leurs propres clients à un prix très largement inférieur (la Commission de Régulation de l’énergie a ainsi constaté un prix de 21 euros/MWh au 26 mars 2020). Cette situation a engendré pour ces fournisseurs des pertes importantes.

C’est dans ces conditions qu’ils ont souhaité faire jouer la clause de force majeure stipulée dans l’accord-cadre ARENH conclu avec EDF.

La clause de force majeure stipulée dans l’accord-cadre ARENH

L’article 10 de l’accord-cadre ARENH définit la force majeure comme « un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des Parties dans des conditions économiques raisonnables » et prévoit la suspension des obligations des parties pendant la durée de l’évènement de force majeure.

L’article 10 reprend donc les éléments traditionnels de la force majeure en droit français (extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité) que l’on retrouve désormais à l’article 1218 du Code civil.
L’accord-cadre précise toutefois que l’impossibilité d’exécution doit être définie par référence aux « conditions économiques raisonnables », ce qui, on le verra, n’est pas restée sans incidence dans la décision du juge des référés.

La décision du juge des référés du Tribunal de commerce de Paris

Devant le juge des référés, la position des fournisseurs alternatifs d’électricité était relativement simple : la baisse de la consommation d’électricité en raison de la crise liée à la Covid-19 a engendré une baisse du prix de marché de l’électricité, et les fournisseurs alternatifs se sont retrouvé contraints d’acquérir auprès d’EDF de l’énergie à un prix beaucoup plus élevé que celui auquel cette même énergie était ensuite revendue à leurs propres clients. Pour Total Direct Énergie, Gazel et Alpiq, la pandémie liée à la Covid-19 constituait donc bien un cas de force majeure les mettant dans l’impossibilité d’exécuter leur obligation d’achat et de paiement auprès d’EDF.

A la lecture des ordonnances, il semble qu’EDF n’a pas contesté le caractère extérieur et imprévisible de la pandémie. Toutefois, EDF a fait valoir que les fournisseurs d’électricité ne démontraient pas être dans l’impossibilité d’exécuter leurs obligations. Selon EDF, ces fournisseurs pouvaient, en effet, prendre livraison des volumes réservés et payer les factures correspondantes. La position d’EDF s’appuyait notamment sur la position de la jurisprudence française qui écarte généralement la possibilité pour une partie d’invoquer la force majeure relativement à une obligation de paiement.

Le juge des référés a tout d’abord estimé que : « (…) la diffusion du virus revêt, à l’évidence, un caractère extérieur aux parties, qu’elle est irrésistible et qu’elle était imprévisible comme en témoignent la soudaineté et l’ampleur de son apparition ».

S’interrogeant ensuite sur l’impossibilité d’exécution de leurs obligations par les fournisseurs d’électricité, le juge des référés s'est attaché à la rédaction même de la clause de force majeure en cause dans le litige. Pour être valablement qualifiée de force majeure au titre de l’accord-cadre, la pandémie liée à la Covid-19 devait rendre impossible l’exécution des obligations des fournisseurs « dans des conditions économiques raisonnables ». En l’absence de définition de la notion de « conditions économiques raisonnables », le juge des référés a estimé qu’il s’agissait d’un « bouleversement des conditions économiques antérieures qui se traduit par la survenance de pertes significatives nées de l’exécution du contrat ».

Or, pour le juge des référés, les fournisseurs alternatifs, confrontés à une baisse brutale et imprévisible de la consommation d’électricité, n’avaient d’autre choix que de céder des quantités d’énergie à leurs clients à un prix très inférieur au coût d’acquisition normalement dû à EDF. En conséquence, pour le juge des référés, les fournisseurs devaient faire face à des « pertes significatives, immédiates et définitives sur une durée dont » ils n’avaient pas la maîtrise.
Les conditions posées par la clause de force majeure étaient donc remplies et la suspension de l’accord-cadre devait être ordonnée.

Ces ordonnances de référé ne sont qu'une première étape dans le contentieux opposant EDF à certains fournisseurs d’électricité en raison de la Covid-19. EDF a d’ores et déjà indiqué avoir interjeté appel des ordonnances devant la Cour d’appel de Paris, et notifié aux fournisseurs d’énergie concernés la résiliation de leurs contrats.

Ces ordonnances rappellent également l’importance à accorder à la rédaction des clauses de force majeure dans les contrats. Si l’impossibilité d’exécution n’avait pas été définie par référence aux « conditions économiques raisonnables », il n’est pas certain que la solution donnée par le juge des référés aurait été la même. Bien avant la crise liée à la Covid-19, la jurisprudence a déjà eu l’occasion de s’interroger sur la qualification de force majeure en présence d’une pandémie. Or, l'analyse de la jurisprudence montre que les juges se montrent rigoureux et n’hésitent pas à refuser la qualification de force majeure, notamment au regard du critère de l’irrésistibilité (la jurisprudence a ainsi déjà refusé la qualification de force majeure à propos du chikungunya ou de la dengue ; la Cour d’appel de Paris a, quant à elle, considéré que le virus Ébola pouvait être considéré comme un cas de force majeure, tout en écartant cette qualification dans l’affaire qu’elle a été amenée à trancher dès lors que le virus Ébola n’avait pas rendu impossible l’exécution des obligations en cause dans le litige).

Paris Commercial Litigation Dispute Resolution